D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds, de Jón Kalman Stefánsson
Jón Kalman Stefánsson dit qu’il a tendance à penser que si l’on peut facilement résumer un roman, alors c’est qu’il ne valait pas la peine d’être lu. Je ne puis que souscrire, tant j’éprouve de difficulté à l’heure de rédiger ce billet, ne sachant par où commencer pour rendre hommage au mieux à ce roman magnifique et à l’immense talent de son auteur.
« D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds », c’est d’abord l’histoire d’une famille sur trois époques différentes. Et le récit se compose d’allers-retours dans le temps qui nous font découvrir les hommes et les femmes de ces trois générations. Mais c’est aussi l’histoire d’une terre, l’Islande, et d’une ville en particulier, Keflavik. Une ville où « nulle part ailleurs en Islande, les gens ne vivent aussi près de la mort ».
Ari a quitté sa terre natale et cette ville « qui n’existe pas », plaquant subitement épouse et enfants pour un tout petit rien, pour fuir les effets implacables de la routine sur l’amour. Lui qui pense « que celui qui veut aimer l’Islande doit parfois s’en exiler », s’est installé au Danemark où il a fondé sa maison d’édition. Mais une lettre de son père, lui annonçant qu’il est malade, va le ramener vers son île et ses souvenirs. Une lettre accompagnée d’une photo de ses parents et du diplôme de son grand-père Oddur, capitaine mythique de Keflavik, qui ne vivait à cette époque que par et pour la pêche. Oddur est le héros de la famille, le pêcheur valeureux dont la femme Margret attendait avec inquiétude le retour lorsqu’il partait en mer.
C’est peut-être lorsqu’il évoque ce couple courageux et superbe que Jón Kalman Stefánsson se fait le plus lyrique. La beauté et la pureté des sentiments, la vie âpre et difficile mais tendue vers l’essentiel, se traduisent sous sa plume en une prose somptueuse et poétique. Une prose et une écriture que l’on goûte à la lecture de chacun de ses romans.
Son regard sur les hommes et le sens de la vie – et de son pendant, la mort – est unique et précieux. Un regard empli d’amour mais non dénué de critiques, lorsqu’il est question d’évoquer l’évolution de son pays, ou le sort réservé aux femmes dans un monde où l’homme se veut dominant. Dans ses romans, Jón Kalman Stefánsson fait la part belle aux personnages féminins, comme un moyen pour lui d’équilibrer un peu la balance.
Chaque page de ce livre nous saisit par sa beauté, chaque page recèle des phrases pépites que l’on a envie de noter aussitôt afin de les lire et les relire encore. Et que dire des incises qui s’intercalent entre les chapitres, si ce n’est qu’elles valent à elles seules de se plonger dans la lecture de ce chef d’œuvre.
Si cette beauté a pu parvenir jusqu’à nous, lecteurs français, c’est grâce au talent d’un homme, Eric Boury, traducteur de Jón Kalman Stefánsson depuis le début. Je ne saurais achever ce billet sans le citer et lui rendre hommage une fois encore, et surtout le remercier de nous ouvrir ce qui n’est rien de moins qu’une porte sur le bonheur.
Editions Gallimard – 20/08/2015 – trad. Eric Boury
Je dois le lire pour le club de lecture, mais je crains son épaisseur, n’aimant pas beaucoup les gros livres… mais bon tu me rassures un peu
Stefansson est une merveille tu verras
Bonjour, je partage votre avis, j’ai beaucoup aimé ce roman!
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